Agnès Love coach

« Mon histoire commence le jour où j’ai décidé de ne plus vivre ma vie comme on remonte un escalator qui descend. » écrivait Pascal de Duve (écrivain* et professeur de philosophie) juste avant de mourir du sida à 29 ans.

Pourquoi et comment se respecter soi-même pour vivre parfaitement heureux ? Devoir remonter un escalator qui descend, c’est être écartelé entre ce qu’on sent qu’on a à faire et ce qu’on pense qu’on doit faire, c’est ne plus savoir quelle direction est la bonne et courir le risque de tomber en s’emmêlant les jambes. C’est contradictoire et malsain parce qu’un escalator qui descend est fait pour descendre, pas pour monter.Nous sommes en effet tous littéralement bombardés dès notre naissance par des suggestions qui nous limitent, des suggestions qui nous écartèlent entre notre besoin de nous respecter nous-mêmes et notre désir de répondre aux besoins des autres pour leur faire plaisir.

Nos croyances trompeuses du passé

Nos parents se sont certes souvent employés à nous faire croire que pour que nous soyons en paix avec nous-mêmes (en vérité plutôt avec eux), il nous faut agir conformément à ce qu’ils veulent que nous fassions, et nous en sommes arrivés à ne plus savoir qui nous sommes ni ce que nous voulons.

Nous croyons – insidieusement – que c’est mal de respecter nos besoins à nous, qu’il vaut mieux « faire » pour les autres ce que nous n’avons pas envie de faire, ce que nous ne ressentons pas comme adéquat et juste de faire. Mal de ne pas leur céder, mal de leur dire « non », mal de leur mettre la limite que – si nous étions fidèles à ce que nous ressentons – nous devrions leur mettre. C’est ainsi que nous nous persuadons qu’il nous faut « être gentils » avec les autres et que nous ne percevons pas, ou trop tardivement, que cette exigence est bien souvent mortifère pour nous. Nous nous perdons entre le désir de répondre aux besoins des autres (parce qu’on nous a appris que c’était ce qu’il fallait faire), et le besoin, propre à chacun, d’être en intégrité avec lui- même, c’est-à-dire d’obéir à ce qu’il ressent (ce qu’on ne nous a pas appris).

Nous pensons n’avoir pas d’autre choix que de devoir renoncer à être nous-mêmes (avec nos besoins et nos impossibilités), au profit de ce que nous pensons devoir être pour l’autre (contraints que nous sommes par la morale et ses injonctions).

Parce que nous sommes incapables de dire « non » quand la situation l’exige, nous nous soumettons, nous encaissons, en renonçant injustement à ce que nous sommes, persuadés que nous devons souffrir (nous devenons des victimes) pour être à la hauteur de la morale qu’on nous a inculquée.

C’est ce qui se passe dans ce conte oriental anonyme qui illustre notre si douloureuse contradiction :

Un dimanche matin, un paysan pauvre s’apprêtait à quitter sa maison lorsqu’un ami d’enfance se présenta à la porte. Il le reçut chaleureusement.- Sois le bienvenu, où étais-tu pendant ces années ? Entre donc. Hélas, il faut que je m’absente. J’ai promis d’aller voir quelques amis et ne peux me décommander. Je t’en prie, reste ici, je serai de retour dans une heure environ. Nous pourrons tranquillement bavarder tout à l’heure.- Mais non, répondit l’ami, ne vaudrait-il pas mieux que je t’accompagne ? Le seul ennui c’est que mes vêtements sont en loques. Si tu me donnes de quoi me changer, j’irai avec toi. Quelque temps auparavant, le roi avait offert de beaux vêtements au paysan, celui-ci les conservait soigneusement en attendant qu’une occasion se présente pour les porter. Il s’empressa de les apporter à son ami qui fut paré comme un roi : un manteau de grande valeur, un turban somptueux, un dhoti, des chaussures magnifiques.

 Voyant cela, le paysan sentit une pointe de jalousie monter en lui : n’avait-il pas l’air d’un serviteur à côté de son ami ? Il se demanda même si ce n’était pas une erreur de prêter ses plus beaux atours à son hôte. Pour tout dire, il se sentit inférieur. Tous les regards se tourneront vers lui, pensa-t- il, et moi, je passerai pour le valet.Il essaya de se calmer, se raisonna et se dit qu’il s’était comporté en ami fidèle et en homme de Dieu.Il décida donc de s’en tenir à ces nobles pensées. Après tout, quelle est la valeur d’un beau manteau et d’un turban coûteux en comparaison du plaisir d’un vieil ami retrouvé, n’est-ce pas ?Il ne savait pas alors que plus il s’efforçait d’être bon et généreux avec son ami, plus le manteau et le turban lui trottaient dans la tête… Les deux hommes se mirent en route. Les passants n’avaient d’yeux que pour celui qui était si richement vêtu. Le paysan se sentait de plus en plus déprimé. Il devisait en marchant mais ses pensées étaient tout absorbées par le turban, par le manteau.
Quand ils arrivèrent à destination, le paysan présenta son compagnon. « Je suis venu avec mon ami, c’est un ami d’enfance, un homme des plus agréables. » Et brusquement, il ajouta : « les vêtements qu’il porte sont à moi ». Consternation générale.Le paysan se rendit compte de sa bévue, s’en mordit les lèvres mais c’était fait. Il ne pouvait plus rien y changer.Rentré chez lui, il dit à son ami : « Pardonne moi, ces mots m’ont échappé, c’était une erreur. »En réalité les mots ne mentent pas, la bouche ne produit que les paroles dictées par le mental (qui se trahit parfois avec des lapsus), elle ne fait pas d’erreur. Le paysan dit : « Pardonne- moi, j’ignore d’où vient ce que j’ai dit ». Mais une part cachée de lui-même sait pertinemment bien ce qui se passe dans sa tête.
Les deux compagnons s’en allèrent de nouveau en visite. Vous vous doutez que le paysan avait bien l’intention de ne pas répéter la gaffe. Il avait pris la décision – irrévocable cette fois – de ne pas parler des vêtements.Il continuait par là-même à ignorer que plus sa volonté de ne rien dire était forte, plus son attention se fixait sur le fait que les beaux vêtements lui appartenaient, mais que voulez-vous, il avait appris à devoir être bon avec les autres.Le paysan, en proie à une discorde intestine violente, entra chez ses amis et commença prudemment :
« Je vous présente mon compagnon, un ami d’enfance », mais personne ne l’écoutait, tout le monde s’extasiait devant l’allure vestimentaire de l’autre. Il protesta intérieurement, c’est mon manteau, c’est mon turban, mais il se souvint de sa décision et se raisonna : les uns ont de beaux vêtements, les autres des haillons, c’est sans grande importance.Mais les vêtements l’obsédaient, le hantaient. Il reprit la parole : « Voici mon ami, un ami d’enfance, un homme bien, très bien, et les vêtements, ils sont à lui, pas à moi ».
Silence choqué de l’assemblée. Quelle façon étrange de présenter quelqu’un en précisant que ses vêtements lui appartiennent ! De retour à la maison, le paysan se confondit une fois de plus en excuses. Quelle gaffe, soupira-t-il, que faire ? que dire ? jamais des vêtements n’ont eu une telle emprise sur moi. Mon Dieu, que m’est-il arrivé ?

 Que lui était-il arrivé ? Il ignorait qu’il appliquait inconsciemment un procédé qui rend obsédée toute personne qui l’utilise.

Son ami, indigné, déclara qu’il ne l’accompagnerait plus nulle part. Le paysan supplia : « Ne fais pas ça, j’en serai malheureux pour le restant de mes jours, je ne me pardonnerai jamais de t’avoir traité de la sorte. Je ne dirai plus un mot au sujet de ces maudits vêtements. Du fond du cœur, je te jure devant Dieu que je n’y ferai plus la moindre allusion ».

Ne pas se forcer à dire oui pour « plaire », écouter ses limites

Nous devons nous méfier de ceux qui jurent quelque chose, car cela nous indique la profondeur de ce qui est en jeu : la décision est prise en surface par la raison et la chose que l’on veut combattre en la refoulant réside dans le labyrinthe de l’inconscient Mais revenons au paysan. Il partit en visite pour la troisième fois, dans le plus grand contrôle de lui-même. Les gens tendus sont dangereux, un volcan gronde en eux. Extérieurement, ils sont rigides et contenus et à l’intérieur d’eux-mêmes, leurs besoins opprimés se débattent pour briser leurs chaînes. En vérité tout ce qui est forcé et contraint ne peut jamais durer longtemps ou être complet, parce que l’effort à fournir étant énorme, il faut bien se détendre de temps à autre, il faut bien se reposer un jour.

Plus nous serrons le poing longtemps et fort, par exemple, plus nous nous fatiguons vite, donc plus vite nous devrons renoncer à le serrer. Notre épuisement sera toujours proportionnel à la quantité d’énergie investie car toute action appelle une réaction de force égale et opposée.Notre main peut rester ouverte et détendue sans limite de temps, ce qui est impossible au poing fermé.Ainsi, ce qui nous fatigue ce ne sont pas les aléas de notre existence mais la manière dont nous les gérons en les refusant et en luttant contre.

Donc plus nous nous forçons à faire quelque chose, en luttant contre nous-mêmes, plus un besoin nécessaire de repos, donc plus une réaction en retour, se fera sentir.

Le paysan donc se surveillait étroitement pour ne rien dire au sujet des vêtements.Les voici arrivés. Le paysan est couvert de sueur, il se sent éreinté, paralysé d’angoisse, son compagnon est inquiet lui aussi. Le paysan se met à parler avec une extrême lenteur, une extrême prudence.- Voici mon ami, un très vieil ami, un homme très attachant, vraiment.Brusquement, il se sent vaciller, quelque chose explose en lui, il comprend qu’il est vaincu, il bredouille.- Et les vêtements ? Excusez-moi, je n’en parlerai pas. Je me suis juré de ne pas ouvrir la bouche à ce sujet.

Cette histoire illustre que tout ce que nous réprimons devient une obsession dangereuse et toxique. Notre inconscient hurle tout bas que nous n’avons pas à faire (ou à être) ce que nous ne sentons pas de faire (ou d’être). Cette histoire nous fait découvrir qu’avant de dire « oui » à l’autre, avant d’accéder à sa demande ou même, dans le cas du paysan, avant de proposer à l’autre beaucoup plus que ce qu’il avait demandé, il nous faut commencer par vérifier à l’intérieur de nous que nous sommes d’accord avec nous-mêmes pour dire ce oui ou accéder à cette demande.

C’est toujours une erreur de ne pas consulter sa profondeur car, quand nous sommes incapables de tenir nos propres engagements plus de quelques jours, ou même de quelques heures, c’est que nous ne sommes pas d’accord – dans notre profondeur – avec la part superficielle en nous qui les a pris. Au début de cette histoire, le paysan est tout à fait conscient des limites qui sont les siennes, puisqu’il sent une pointe de jalousie monter en lui, mais il renonce à en convenir pour la rencontrer, il renonce à en tenir compte parce qu’elle n’est pas conforme à ce qu’il veut être. Il se met donc à distance de ce qu’il est au nom de ce qu’il veut être, et c’est cela vouloir remonter un escalator qui descend. Ce faisant, il s’éloigne immanquablement de lui-même et se condamne au retour de ce qu’il refoule (ici, sa jalousie).

Comment allons-nous nous y prendre pour oser être à la fois justes et lucides vis-à-vis de nous-mêmes dans notre relation aux autres pour se respecter soi-même ?

Nous devons commencer par porter un regard lucide sur nos propres forces (ce qui revient à dire que ce que nous ne pouvons pas faire, nous ne devons pas le faire), et pour cela commencer par ne pas nous surestimer. Et nous nous surestimons toujours quand nous vivons dans l’insécurité de ne pas être ce que nous voudrions être et que nous ne sommes pas. Si nous sommes vrais et lucides avec nous-même, si nous nous respectons, lorsque nous ressentons en nous-même une pointe de jalousie monter, un ressentiment contre une personne que nous aimons, ou une peur de faire quelque chose qu’en apparence nous aimons faire, nous accueillons toutes les émotions qui montent en nous, avec bienveillance, parce qu’elles sont là, précieuses en ce qu’elles nous servent à prendre la température de « ce que nous sommes » ici, maintenant.

C’est cette « prise de température » qui nous permet – dans un second temps – de dire « oui » ou « non » en accord avec nous-même plutôt que de devenir prisonnier de notre interlocuteur – à qui nous voulons absolument plaire.Si le paysan était resté « entier », donc non divisé, il aurait pu négocier avec lui-même, c’est- à-dire trouver une solution équitable pour lui, par exemple prêter à son ami des habits plus ordinaires. Se laisser diviser en n’osant pas dire « non » ou mettre des limites à l’autre, c’est laisser la part de soi-même en proie à la peur prendre les commandes en soi sous le faux prétexte d’être gentil. Or la peur n’est pas bonne conseillère dans ce cas-là.

Devenir maitre de soi, devenir « qui on est », ce n’est pas devoir obéir aux besoins des autres, c’est obéir à ce que l’on sent en soi de possible ou non. C’est à ce niveau que se trouve le juste équilibre entre ce dont nous sommes capables et ce à quoi nous aspirons. Qu’est-ce que je me sens capable de faire, compte tenu de ce à quoi j’aspire ? Quels moyens vais-je me donner pour accéder à ce à quoi j’aspire ? Cela demande à la fois de la lucidité sur soi-même (donc pas d’illusion) et une capacité à reconnaître ses besoins pour s’y ouvrir.C’est ce travail précis qui permet à un être humain de répondre à la question : comment vais- je m’y prendre pour répondre à mon besoin d’être avec les autres tout en restant moi-même ?

Parce que, contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire, ce n’est pas une simple question de « bonne volonté » ou de « mauvaise volonté », c’est simplement toujours une impasse que de « vouloir être bon » avec les autres contre soi-même. Pour accéder à l’empathie vis-à-vis des autres, commençons par nous respecter nous- mêmes.

Nous connaissons tous des personnes qui « s’efforcent d’être bonnes » et s’épuisent en s’enfonçant dans leur maladresse, quittes dans un second temps à s’en vouloir ou à en vouloir aux autres. Ces personnes deviennent amères, non pas parce que les autres les abusent mais parce qu’elles ne se respectent pas, s’abusant elles-mêmes dans ce qu’elles pensent devoir faire. Et nous sommes les seuls à pouvoir découvrir cela pour nous-mêmes. Faire naître en soi – malgré soi – un ressentiment contre celui avec lequel nous voulons être bon ne peut que nous morceler, nous diviser en nous rendant hargneux et agressifs. Travailler à la cohérence de soi-même c’est cesser de vouloir être gentil (ce qui n’empêche nullement de l’être).

Être authentique c’est dire oui si c’est oui et non si c’est non. Dans un tel contexte il n’est plus besoin d’amertume, plus de demi-oui ou de demi-non qui ne nous engagent qu’à moitié, juste le respect de soi-même qui permet de respecter l’autre en ne lui faisant pas miroiter ce que nous ne pouvons pas lui donner.S’il est vrai que personne n’est fait pour être ce que l’autre voudrait qu’il soit, il nous faut découvrir que nous avons tous le droit de vivre notre vie « à l’endroit », c’est-à-dire à partir de nous- mêmes, et que nous pouvons prendre l’escalator dans le bon sens.

Merci à © ùRenaud PERRONNET, philosophe de formation, thérapeute, formateur en relation d’aide.

  • * extrait du livre de Pascal de Duve écrivain et professeur de philosophie « Vingt-six jours du crépuscule flamboyant d’un jeune homme passionné »

Inscrivez-vous à ma newsletter

Nous promettons de ne jamais vous envoyer de messages indésirables ! Jetez un œil à notre Politique de confidentialité pour plus d’informations.

Recevez les dernières nouvelles

Abonnez-vous à la newsletter