Agnès Love coach

Comment se quitte-t-on ? Qui prend l’initiative de la séparation ? Qui y laisse des plumes mais se love vite dans un nouveau nid ? Qui veut préserver sa liberté et son identité retrouvées ? Entre clichés d’époque et avis d’experts, zoom sur les nouvelles surprises du désamour.

Edvard Munch.

C’est Serge Hefez, psychanalyste et thérapeute de couple, qui raconte : «Il y a quelque temps, je reçois un jeune couple en train de se séparer. La femme a eu cette phrase très simple, mais extraordinaire : « Comme vous le savez, un couple, ça a un début et une fin. » Cela disait quelque chose du changement radical dans les représentations actuelles de l’amour et la conjugalité. Il y a encore deux générations, on se mariait pour la vie.» En 2017, le Conseil économique, social et environnemental le rappelait, lui aussi : tous types d’union confondus, un couple sur trois se sépare en France aujourd’hui. On aime donc plus souvent, et moins longtemps. Et l’on rompt beaucoup. Plusieurs études nous instruisent sur la façon dont, de nos jours, on termine les histoires d’amour. En juillet dernier, l’Institut national d’études démographiques (Ined) dévoilait – dans un numéro spécial de sa revue Population – qu’après séparation «les hommes ont une plus grande facilité à reformer une union.» Plusieurs recherches s’accordent sur un autre point important : l’initiative de la rupture amoureuse est, dans la majorité des cas, prise par la femme. À l’échelle de l’histoire humaine, voilà qui est sans précédent.

Car rompre une relation amoureuse a été longtemps réservé aux hommes. Sabine Melchior-Bonnet, historienne des sensibilités, publie en cette rentrée Les Revers de l’amour, une histoire de la rupture (PUF), un phénomène qu’elle étudie à travers les âges et les textes historiques. «Pendant longtemps, l’amour n’était pas une valeur pour les hommes, raconte-t-elle. Le mariage était avant tout une union patrimoniale.» Tout change, selon l’historienne, avec Julie ou la Nouvelle Héloïse, de Rousseau. «Ce livre va absolument peser sur toute la psychologie de la première moitié du XIXe siècle, souligne-t-elle, car le mariage d’amour et le sentiment prennent le pouvoir. Reste que avant George Sand puis Simone de Beauvoir, j’ai eu beaucoup de mal à trouver des couples où c’est la femme qui rompt», conclut-elle.

Fragilité masculine

Le romantisme du XIXe permet alors aux hommes des sentiments inédits : comprenant que son amour avec Charlotte est impossible, le jeune Werther se suicide et, dans son sillage, une vague entière de jeunes lecteurs se reconnaissant en lui. Si l’on fait un saut dans le temps, jusqu’au XXIe siècle, la neuroscientifique américaine Lisa Feldman Barrett montre que les hommes sont traversés par autant d’émotions que les femmes. Comprenez : une rupture amoureuse leur fait mal. Très mal, même : en 2015, une étude anglo-américaine concluait, après avoir interrogé 5 000 personnes sur leur degré de souffrance post-rupture, que les hommes avaient plus de mal que les femmes à s’en remettre. Claire Marin, philosophe et auteure de Rupture(s) (Éd. de L’Observatoire), déclarait récemment à ce sujet : «Soumises à un rythme discontinu (les règles, la naissance d’enfants, leur départ…), elles savent, peut-être davantage que les hommes, que les ruptures permettent de renouer avec le vivant.» Elles souffrent, mais en sachant que ça va aller.

Aurore Malet-Karas, docteure en neurosciences, sexologue et thérapeute de couple, le confirme : «Pour les hommes, qui ne vivent pas tout ça, c’est plus difficile, surtout dans une société qui reste patriarcale. On leur demande encore d’être forts : résultat, quand un homme se fait quitter, outre la blessure amoureuse, il y a celle très grande de l’ego.» Et dans le cas où c’est lui qui quitte, il y a l’héritage d’un temps, pas si lointain, où abandonner son foyer était vu comme un déshonneur… Ainsi, David, 50 ans, a vécu dix années de grande souffrance intérieure avant de comprendre qu’il lui fallait rompre son mariage pour être heureux. Il n’a pu le faire qu’en faisant une thérapie. «J’ai été l’aîné d’une fratrie avec des parents malades, beaucoup de choses reposaient sur moi. Aussi l’idée d’abandonner est-elle terrible pour moi. Ma femme ne travaillait pas, j’étais tout pour elle.» Pour lui, qui a pourtant refait sa vie, inimaginable, donc, de couper les ponts.

« Ça fait mal d’apprendre à quitter ceux qui nous quittent, d’apprendre à les aimer en silence, le dos tourné, les yeux baissés. De devoir apprendre à son cœur la force de se vider tout en demeurant habité. Apprendre à pleurer en souriant, à s’en aller en aimant » – Se résoudre aux adieux – Philippe Besson.

Profil dépendant

Si rompre ou être quitté est si douloureux pour les hommes, pourquoi alors refont-ils plus vite leur vie que les femmes ? «Dans la majorité des cas, répond Arnaud Régnier-Loilier, directeur de l’étude réalisée par l’Ined, la résidence des enfants est confiée à la mère (qui, en plus, se retrouve souvent dans une situation financière précaire, avec la nécessité de travailler), donc les hommes ont une plus grande disponibilité pour rencontrer des gens. Ils envisagent aussi moins difficilement une coparentalité de leurs enfants avec une autre personne.» La psychologue Élodie Cingal, spécialisée dans les séparations, estime que les hommes qui retrouvent vite une partenaire le font souvent «pas forcément par amour, mais car ils sont fragiles et ont pris l’habitude de s’en remettre aux femmes dans beaucoup de domaines. Certains sont quittés ou quittent une partenaire qu’ils aiment encore et se remettent en couple rapidement : c’est une situation banale. Ces personnes, au profil dépendant, ne se sentent pas en sécurité quand elles sont seules.»

Agathe, 51 ans, occupe de très hautes responsabilités dans une grande entreprise. Il y a deux ans, elle et son mari décident de divorcer après vingt-deux ans de mariage et deux enfants déjà presque adultes. «Je ne dirais pas que je ne cherche pas l’amour, dit-elle aujourd’hui, mais je n’ai plus envie de vivre avec quelqu’un. Mon mariage est un bon souvenir, mais m’occuper de nos enfants, de notre vie quotidienne et de mon mari, en plus de mon travail, a été une telle lessiveuse que je suis trop heureuse d’avoir maintenant une liberté de mouvement quasi totale, au moins une semaine sur deux.» Se référant aux résultats de son étude, Arnaud Régnier-Loilier précise : «Après avoir vécu vingt à trente ans de mariage et élevé des enfants, en ayant ou non travaillé, beaucoup de femmes doivent apprendre à vivre seules, se reconstruire, trouver des amis, une situation, un logement… Elles n’ont pas envie de mettre tout cela en danger. Elles vont donc moins vers la cohabitation.» Enfin, la rupture est aussi le moment de la réinvention de soi, peut-être encore plus pour les femmes, pour qui, historiquement, ne plus vivre exclusivement au service des autres est devenu possible. Mais, ajoute Arnaud Régnier-Loilier, «les couples bi-actifs et les gardes alternées, deux données de plus en plus fréquentes, promettent de nouveaux lendemains aux ruptures, surtout dans un contexte où les hommes jeunes sont plus autonomes sur le plan domestique que leurs aînés.»

Nouvelles tensions

Une chose est sûre, pourtant : rompre plus souvent ne semble pas rendre la chose plus douce ou facile. Pourquoi ? Selon Claire Marin, «même si j’expérimente deux séparations amoureuses, je ne suis pas la même personne. Il s’est passé des choses différentes dans chaque relation.» «La rupture est toujours une surprise, insiste-t-elle, même quand on projette la façon dont on va rompre, ça se passe rarement comme on l’avait imaginé.» Et cela fait toujours mal, car, écrit-elle dans son livre, «la rupture est une déchirure. Elle ne retrouve que rarement les contours nets de chacun […]. Qu’on la choisisse ou qu’on la subisse […], il nous faut supporter la déformation de notre identité, de notre existence.»

Voilà pourquoi croire que la liberté de rompre qu’on a acquise nous rend plus légers serait naïf. « Paradoxalement, en se séparant davantage, observe la philosophe, on garde des attachements.» D’ailleurs, comment se recompose-t-on «quand on se retrouve impliqué dans des vies avec lesquelles on aimerait n’avoir rien à faire, l’ex-mari ou les enfants d’une nouvelle compagne ? Cet entremêlement des vies complexifie et crée de nouvelles tensions.» Nos existences numériques s’en mêlent : pas facile de ne plus penser à l’autre alors qu’il se manifeste sans réserve sur les réseaux sociaux. De même que la fin d’une histoire d’amour peut être facilitée par l’idée que l’on trouvera sur les sites de rencontre, si ce n’est de l’amour, du moins de la compagnie.

Avant la rupture, aimer qui, comment, pourquoi ?

L’exploration de l’amour ? «Elle emprunte le chemin du plus extrême attachement au plus extrême détachement, voire au déracinement.» Voici les quelques mots qui introduisent LA grande exposition sur l’amour de la rentrée. Elle vient d’ouvrir à Paris, et elle s’annonce passionnante : avant d’avoir rompu, on a (en principe !) aimé. Certes, mais que s’est-il vraiment passé ? L’expo propose un parcours sur toutes les facettes de ce mystérieux sentiment, l’amour, qui passent aussi bien par des travaux scientifiques contemporains en biologie, neurosciences et psychologie que par des recherches en sociologie, anthropologie ou encore par des expressions artistiques. Pour (mieux) saisir pourquoi le cœur «a ses raisons que la raison ignore»…

Sophie Calle rompue à l’exercice

La rupture amoureuse a beaucoup inspiré l’artiste Sophie Calle. Dans une de ses œuvres/performances, elle envoie son lit, matelas et sommier compris, à un homme, à San Francisco, qui supporte mal une séparation amoureuse. Mais c’est surtout elle que la rupture inspire. En 2007, à la Biennale de Venise, elle présente une exposition intitulée Prenez soin de vous. L’artiste demande à 107 femmes d’interpréter sous un angle professionnel une lettre de rupture qu’elle a reçue. Dans Douleur exquise, Sophie Calle conjure la souffrance d’une autre séparation en demandant : «Quand avez-vous le plus souffert ?» «Cet échange cesserait quand j’aurais épuisé ma propre histoire à force de la raconter, ou bien relativisé ma peine face à celle des autres.» La rupture peut être féconde.


Jean-Sébastien © Madame Figaro

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