Pourquoi je me lasse vite en amour ? Les débuts d’une relation amoureuse ont beau être teintés de passion et d’intensité, pour certaines et certains cela finit toujours par retomber comme un soufflé. Deux spécialistes interrogent notre psychologie et notre société pour expliquer le phénomène de la lassitude amoureuse.
Au début de la relation, c’est normal, l’envie d’être avec le nouveau partenaire est très forte. Puis l’excitation des débuts baisse progressivement en intensité, jusqu’à en laisser certains fatigués, désenchantés, comme lassés d’une routine. D’ailleurs, chez certaines personnes, ce schéma peut constamment se répéter. Selon le psy Y-A Thalmann, et le psychosociologue Jacques Salomé, le phénomène semble être de plus en plus fréquent. Une insatisfaction chronique due à certains traits de personnalité bien sûr, mais due aussi à la société dans laquelle nous évoluons.
Certains d’entre nous se lassent rapidement d’une relation amoureuse. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Jacques Salomé : L’amour se vit toujours au présent. Au début de la rencontre, il est de l’ordre de la grâce qui émerveille, et par la suite, il sera de l’ordre de la création, ou de la destruction. C’est à ce moment qu’intervient la lassitude. Un mal-entendu ou un piège dans la relation, provoque chez certaines personnes un moment d’ambiguïté qui peut les pousser à se lasser trop vite. Cela devient souvent source de souffrance quand l’un prend la décision de quitter l’autre sans vouloir réellement se séparer, car les sentiments existent encore mais l’un des deux partenaires vit difficilement la nature de la relation qui lui est proposée ou imposée.
Comment faire la différence entre la lassitude et un vrai désamour ?
Y-A : Thalmann, psy : Nous vivons dans un modèle romantique qui nous induit en erreur.
J.S. : Si le couple se désunit par lassitude, c’est souvent parce que les deux partenaires n’ont pas su trouver les moyens de communiquer. Ils n’ont pas su créer une relation de partage mutuel qui permet à chacun d’exister à part entière dans la relation. Le désamour est un sentiment. C’est ce que j’appelle la « désertion de l’amour », quand la flamme est remplacée par un pincement au cœur.
Y-A.T. : En réalité, s’il s’agit de lassitude, en remettant un peu plus de vie, d’initiatives ou de nouveautés dans la vie de couple, on peut y reprendre goût. Mais dans le cas d’un désamour, rien n’y fera malgré tout cela. L’envie, l’élan n’étant pa/plus au rendez-vous.
Y-a-t’il des personnalités, des profils, qui se lassent plus que d’autres ?
Y-A.T. : On remarque effectivement que certaines personnes sont davantage à la recherche de stimulations, d’expériences nouvelles, d’excitation émotionnelle. Et en règle générale, on retrouve tout cela au début d’une relation. Il y a cette idée d’intolérance à l’ennui, à la routine et c’est un trait de personnalité qui s’inscrirait dans notre structure psychique. Ce sont généralement des personnes qui se lassent plus vite des situations de manière générale d’ailleurs. Alors que d’autres s’adaptent plus facilement à la routine. Car la routine peut être rassurante, apaisante.
Ces personnes ont-elles une idée bien précise de ce qu’est l’amour ?
Y-A.T.: Oui, mais ils n’en sont pas totalement responsables. Notre société encourage cela. Si l’on regarde la littérature, le cinéma ou autres, ce que l’on nous propose comme modèle de relation romantique est un couple qui est en train de se former sous le regard du public. Et non un qui se connaît et dure depuis des années. On a tendance à croire que l’amour se résume à cela. Ces personnes sont donc amoureuses du fait même de tomber amoureuses. On les appelle les amoureuses de l’amour.
Est-ce un phénomène qui touche de plus en plus de gens de nos jours ?
Je pense que nous allons être confrontés de plus en plus à ce phénomène. Nous vivons dans une société qui favorise une certaine éducation de consommation dans tout domaine, y compris dans les relations humaines. Je serais tenté de croire que les hommes et les femmes d’aujourd’hui ne s’aiment pas suffisamment pour pouvoir être dans un « don d’amour ». Je pense qu’ils vivent dans des « pseudo-amours » créés sous l’emprise d’une influence. Si je suis dans un amour de consommation, j’aime surtout l’amour que l’autre a pour moi. Je le consomme et j’en use.
Jacques Salomé
Je considère également que nous sommes dans une société de consommation qui a exacerbé nos désirs. Dès que l’on obtient ce que l’on veut, il faut absolument le remplacer par un produit meilleur. Et on reproduit le même schéma avec les humains. Mais cela est également dû au fait que l’on a une multitude de choix. Nos ainés choisissaient leur partenaire dans le même village qu’eux ou le village voisin. Alors que maintenant, on trouve un nouveau partenaire en un clic ! Au premier désaccord, c’est plus facile pour certains d’aller voir ailleurs et trouver celui qui correspond à leurs attentes.
Y-A.T.
Pour ne pas se lasser d’une relation amoureuse, il faudrait donc avoir peu de choix de partenaires ?
Jacques Salomé : C’est surtout une bonne sécurité intérieure qui évitera de déposer ses peurs et ses angoisses sur le partenaire !
En réalité, plus on a d’options, plus on est insatisfait, parce que dès que l’on choisit une personne ou un produit, parmi tant d’autres, on se demandera toujours si on a pris le bon, si on n’aurait pas dû se prononcer pour un autre, ou attendre. Tandis que lorsque le choix est restreint ou qu’il n’existe pas, on s’adapte et apprécie ce que l’on a. De plus, lorsqu’une personne est trop disponible, on s’en lasse plus rapidement, on la désire moins car on est poussé à vouloir ce que l’on n’a pas. La clé est donc de se priver de l’autre par moment, pour mieux se retrouver et s’apprécier. Enfin, il faut penser à sortir de la routine de temps en temps. Faire de nouvelles expériences stimulantes car les personnes qui se lassent sont souvent en manque de cela.
Y-A.T.
Comment sortir de la routine du couple ?
J.S.- Pour rendre durable une relation, il faut l’entretenir. C’est à dire qu’il est nécessaire de la nourrir de messages positifs, valorisants, vivifiants, et éviter trop de messages toxiques dévalorisants, menaçants, culpabilisants. Ils peuvent empoisonner le quotidien et blesser le désir de poursuivre ensemble les projets d’une vie commune. Pour faire avancer la relation, le couple peut également proposer de nouvelles bases dans lesquelles chacun d’eux peut redéfinir les attentes, les apports, les zones d’intolérance spécifiques à la personne qu’il est devenu. Cette démarche positive permet de réadapter la relation, lui donner une nouvelle harmonie. Enfin, il est nécessaire d’être une personne douée d’une autonomie affective et matérielle suffisante pour ne pas faire dépendre la satisfaction de ses besoins à l’autre. Avoir une sécurité intérieure élevée, qui évitera de déposer ses peurs et ses angoisses sur son ou sa partenaire, ou de le/la rendre responsable de son bien être ou mal être.
Ces personnes vont-elles arrêter un jour de se lasser ou sont-elles vouées à être seules ?
J.S. : Il n’y a pas de règles qui puissent régir, contrôler, ou guider l’amour. Mais pour atteindre un amour réel il nous faudra grandir, apprendre à être indépendant, développer la capacité de s’engager, de s’allier, d’envisager un projet de vie en commun. Il est important de s’interroger d’une part sur la qualité de l’amour proposé et reçu, et d’autre part sur sa viabilité, en acceptant de le nourrir par une relation de qualité dans laquelle chacun aura le sentiment de croître et de se respecter.
Y-A.T. : Il est difficile de savoir si ces personnes finiront par arrêter de se lasser. Certains trouveront un partenaire suffisamment stimulant, d’autres seront remis en question par les aléas de la vie (deuil, maladie, accident, etc.). Mais d’autres encore resteront bloqués dans ce cycle de lassitude. Quoi qu’il en soit, à partir du moment où la souffrance est présente, cela vaut la peine de chercher de l’aide.
Vous vous lassez en amour ? Ou votre partenaire se lasse de vous ? Je vous invite à échanger sur ce sujet :
A lire pour aller plus loin/
Autant s’aimer longtemps, d’Yves-Alexandre Thalmann
Voyages au pays de l’amour, de Jacques Salomé